LA BELLE Un pas. Encore un. Encore un autre. Il fallait avancer. Continuer. Toujours plus loin. La centaure devait s'éloigner du troupeau. Elle pensait avancer dans la même direction depuis le début. Probablement. Elle avait quitté leur territoire depuis longtemps, mais seulement pour en traverser plusieurs autres. N'y avait-il aucun endroit vide, qui n'appartiendrait à personne, où on ne lui reprocherait pas de se trouver? Elle ne savait que peu de choses du monde extérieur au troupeau. Elle savait qu’il existait d’autres groupes de centaures, et avait de très vagues notions sur quelques autres races. Elle devait se débrouiller seule. Sans abri. Sans compagnie. Sans savoir comment faire pour se nourrir. Ses mamelles lourdes la brûlaient et démangeaient. Elle était fatiguée et elle avait faim. La verdure autour d’elle était abondante, mais elle ne reconnaissait aucune plante. Son troupeau avait vécu en bord de mer. Elle savait qu'attraper du poisson était difficile, et
TAHNN En quelques jours, les sirènes s'étaient organisées de leur mieux. Au retour d'une expédition dans la cité, Tahnn vint retrouver Nar dans la nouvelle vaste grotte où l'on avait relogé les valides. L'endroit était pratiquement vide, à l’exception de deux ou trois endormis. Nar écrivait quelque chose. Tahnn chuchota en arrivant à quelques mètres de lui: "Me revoilà." "Toujours rien?" Nar espérait tous les jours qu'Aeki soit retrouvée. Mais elle et des milliers d'autres sirènes étaient toujours portées disparues. Quatre jours s'étaient écoulés. Tahnn avait cessé d'espérer. "Non, rien de vivant en tout cas. Nous avons pu ramener un peu plus de matériel médical. J'ai un moment de répit avant de repartir pour un autre tour." Tahnn passa dans le dos de son amant et noua ses bras autour de son cou. "Et toi, comment se passe ta journée? Comment va Kess?" Ils tournèrent tous les deux la tête vers l'endormie près d'eux. "Elle s'est arrêtée de pleurer ce matin et a
(Avertissement: accouchement, mort) LA BELLE La jument transpirait. Ça n’allait pas. Trop de monde. Trop d’agitation. Le support sur lequel elle se trouvait était bien trop mou. Ses crins collaient contre sa peau. Et cette épouvantable douleur qui lui sciait le ventre! Sa respiration s’emballait. Ses yeux s’affolaient. Où était son mâle? Où? Qui la touchait? Stop! Elle donna un coup de sabot rageur à la personne qui manipulait ses membres postérieurs. Le sol. Elle voulait sentir le sol dur contre elle. Mais on ne la laissait pas y aller. On la retenait. La maintenait sur ce stupide support qui se voulait être un lit. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait sauvage. Pas soumise comme toute femelle centaure devait l’être. Pas docile. Pas prête à obéir aux ordres qu’elle recevait. Elle voulait voir son mâle, maintenant! Sa voix s’éleva dans un grondement qui ne lui ressemblait pas: "BRYYYYMMMM!" Il arriva enfin dans la salle, en compagnie d’un des soignants
(Avertissement: blessures graphiques) NAR Nar s'éveilla sur le sol rocheux de la grotte. L'espace d'une seconde il se crut de retour à l'époque où il habitait là, mais l'agitation autour lui rappela assez vite la situation actuelle. Peur. Allées et venues. Angoisse. La cité avait été attaquée. Cet endroit servait de refuge temporaire. Il ne voulait pas se lever et retourner à ce cauchemar bien réel. Ce plancher abrupt faisait remonter tellement de souvenirs, d'un temps qui semblait maintenant si lointain. Tahnn. Tahnn n'était pas présent contre lui, où il l'avait laissé quelques heures plus tôt. Il s'était sans doute levé pour aider les équipes de recherche, cela lui ressemblait bien. Nar s'accorda encore quelques secondes de nostalgie, étendu confortablement au milieu des conversations murmurées et des sirènes qui ne trouvaient pas le repos sur la pierre froide. C'était là qu'il avait rencontré Tahnn pour la première fois. Nar avait dû l'emmener à l'hôpital. Ce n'était pas
LA BELLE Le troupeau était très agité ce matin. Le son des sabots et le murmure des conversations couvrait même le bruit des vagues. Couchée à l'intérieur d'une tente, sur un matelas en paille, la jument centaure ne voyait que quelques vagues ombres lorsque ses congénères se rapprochaient des pans qui formaient les murs autour d'elle. Une voix puissante s'imposa par-dessus les autres et fit pivoter ses oreilles. "Toi et toi! Rassemblez les femelles, vérifiez qu'elles sont toutes là! Toi! Ramasse ces poissons, c'est dangereux! Et cette ... des dégâts, ça vient?" "Mais je peux pas l'avoir déjà finie!" "Plus vite! Activez-vous!" Elle connaissait bien cette voix qui aboyait des ordres, mais ne comprenait pas toujours tous les mots, trop compliqués pour elle. Ce qui se passait devait être urgent. Il aurait dû être dans la tente avec elle. Son mâle. Il s'occupait habituellement de résoudre les combats et les disputes entre mâles -à grands coups de pieds. Rien qui ne concerne du
TAHNN Les deux sirènes s'avancèrent prudemment vers leur cité dévastée, à la recherche de survivants ou de blessés, ou de n'importe qui pouvant témoigner de ce qui s'était passé. Était-ce vraiment l’œuvre des orques? D'autres animaux? D'ennemis? Le nuage de sable ne leur facilitait pas la tâche, obstruant leur vision et leurs branchies. Il ne les aidait pas non plus à se repérer dans le paysage, recouvrant toute la végétation aquatique et les quelques rochers distinctifs d'une pellicule dorée unie. A l'approche du mur d'enceinte de la cité, ils se tapirent au sol pour continuer leur progression, sans se perdre et diminuer le risque d'être remarqués. La visibilité était très réduite à ce point. Tahnn, plus réactif, avait pris la tête, et Nar suivait. Ils entendaient des éboulements de temps à autres, mais s'ils se tenaient au centre des avenues ils n'auraient pas à s'en faire, en théorie. Un coup sourd résonna droit devant eux, suivi d'un deuxième, et de cris.
TAHNN Quelques jours plus tard, à l'approche du soir, la plupart des sirènes avaient regagné leurs alvéoles d'habitation. Ne restaient dans les rues que les promeneurs et les couples qui souhaitaient profiter de la luminosité déclinante. Tahnn franchit seul la limite de la cité, sans un regard pour le garde en sentinelle posté au sommet du mur d'enceinte. Il n'était pas interdit de se promener où que l'on souhaite et à n'importe quelle heure, mais la plupart des sirènes préféraient rester dans la cité ou très proche, pour éviter toute chance de rencontrer un garde en patrouille dans leur périmètre de surveillance, au large de la cité aquatique. Tahnn se dissimula derrière un arc de rochers trapus et attendit. Quelques minutes plus tard, Nar et Aeki, main dans la main apparurent au détour des rochers. Nar se détacha d'elle aussitôt hors de vue, et nagea droit sur son compagnon pour le serrer fort. "Tahnny!" Tahnn l'avait vu venir de loin et lui rendit son étreinte. "Heureux
(Avertissement: mention de viol, mention de mort) TAHNN La place du marché était plus vivante qu’à l’accoutumée. En plus des habituels étals de nourriture, de bijoux et d’objets du quotidien, de nombreuses sirènes se pressaient autour de nouvelles tables. Le peuple marchand des salamandres se trouvait de visite ce jour-là dans la cité aquatique. Des sirènes adolescentes et adultes nageaient au-dessus de la place et projetaient leurs ombres mouvantes sur le sable tandis qu’elles jouaient avec les animaux de compagnie des salamandres. Leurs écailles, de couleur vive ou terne, parfois ponctuées de taches plus sombres ou de rayures, contrastaient avec l'étendue de leur peau nue, leurs cheveux longs et les rares sacs ou ceintures de transport que quelques-unes portaient pour tout vêtement. A côté du chahut des curieuses et des courses-poursuites, Tahnn attendait d’être servi à la table des vendeurs de poisson, tête baissée et les mains crispées sur la ceinture de transport en travers